Kurt Elling: la voix à tout faire
Les amateurs de jazz vocal s’étaient donné rendez-vous au Palais Montcalm, hier, où se produisait le chanteur de l’heure en la matière: Kurt Elling. L’Américain, qui a raflé un prix Grammy plus tôt cette année, a démontré que sa réputation est loin d’être surfaite, offrant une performance impeccable, où se conjuguaient originalité, technique, instinct et clins d’oeil à l’histoire musicale.
Il y a quelque chose de réducteur à qualifier Kurt Elling de chanteur. L’Américain est en fait musicien dont la voix est un puissant instrument. Il chante, il scatte, il improvise des mots, il raconte des histoires, il siffle, même, en plus d’écrire. À cela il faut ajouter qu’il a une excellente présence scénique et se soucie de son public, auquel il s’est adressé en français, hier, en plus de lui servir une belle interprétation dépouillée de Je tire ma révérence. C’est donc un artiste complet qui a ouvert le concert avec une version très personnelle de Stardust. Derrière lui, son complice de longue date, Laurence Hobgood, était en parfait contrôle au piano, jouant subtilement sur les registres harmoniques, tandis que les jeunes loups Harish Raghavan (contrebasse) et Ulysses Owens (batterie) y allaient d’un jeu appliqué. D’un titre à l’autre, Elling a déployé ses ressources sans esbroufe, toujours en phase avec le matériel proposé. Ici du scat, là un phrasé grave, ici une montée aiguë évoquant un saxophone.
On aurait pu craindre qu’un jazzman aussi sérieux dans sa démarche apparaisse un peu coincé. Nullement: Elling a saupoudré certaines interprétations d’humour, notamment dans Samurai Cowboy, où il dialoguait avec son batteur avec des bruits de bouche – une pièce aux inflexions world et au phrasé presque rap.
Tous les registres
Comme s’il avait voulu toucher tous les registres, Elling a par ailleurs entonné de superbes ballades, pour ensuite investir un territoire plus ambitieux. Sa version remaniée de Body and Soul, inspirée de celle de Dexter Gordon et dans laquelle il a inséré de nouvelles paroles, était renversante : on croyait entendre le saxo de Gordon. Un autre moment remarquable était Pull My Daisy, découlant d’une oeuvre de Jack Kerouac : amorcée avec une rythmique à la Steve Reich où tous les musiciens tapaient des mains, la pièce a été l’occasion pour le leader de se transformer en conteur.
Si le travail d’Elling était lumineux, celui de ses compères l’était aussi, à commencer par Hobgood, dont les solos étaient toujours de bon goût, avec un souci de structure et de mélodie. Owens, à la batterie, s’est distingué avec un jeu souple et inventif. Raghavan, quant à lui, s’est bien débrouillé, quoiqu’il n’apparaissait pas à l’aise dans tous les titres.
«Je crois qu’on a déjà des amis dans la salle; j’aime ça», a lancé Elling, au tout début de la soirée. Au terme de la performance, c’est la foule au grand complet que le chanteur avait dans sa petite poche d’en arrière.